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Féminin libéré

 

(Note préalable : ceci est le compte-rendu de la première démarche amorcée en 2009 puis avortée en 2012.

La reprise en 2018 s'est faite sous ce nouvel angle)

 

1 - Pour une traversée des mémoires féminines négatives dans une démarche de libération

 

« La question de la place de la femme dans le nouveau monde n'est pas aussi transparente, y compris pour elle. Le désir est là, naturellement, mais ses expressions sont encore brouillées (...)

Un travail de connaissance de soi est nécessaire pour défricher la nature du rôle du féminin (...) Une découverte de la nature profonde de la femme, des valeurs qu'elle porte en elle et de la manière de les transmettre doit se déployer (...) »

Les éclaireurs du nouveau monde, p 96 - 101

 

Partie 2 : Une exploration des potentialités

Thierry Vissac   

 

Au cours de ces dix dernières années, mon travail d’accompagnement m’a naturellement amené à rencontrer des femmes, principalement en recherche de sens et de résolution de conflits. La question qu'elles apportent avec elles du rapport entre les hommes et les femmes m’apparaissait, au départ de cette démarche, presque secondaire dans une perspective spirituelle. Elle est devenue depuis un thème d’attention principal pour moi. Les premières années, j'ai d’abord naïvement cru que le fait que je sois un homme n’aurait pas de conséquences et que mes interlocutrices comprendraient que j’avais le recul nécessaire, faisant de moi une sorte d’interlocuteur androgyne, en tout cas suffisamment neutre pour ne pas présenter de menace (c’était mon intention et je la croyais assez transparente). Pourtant, j’ai vite perçu que, lorsque la douleur du conflit avec l’homme était abordée, une certaine interférence se manifestait dans le même temps. Puis j’ai réalisé, plus profondément encore, que je ne pourrai plus contourner l’évidence à cet endroit des relations humaines, d’une racine profonde de nos désunions, de nos guerres et de nos souffrances collectives.

Du fait d'avoir rencontré de nombreuses fois le cri de femmes qui, après s’être avancées vers moi dans l’espoir d’entendre une parole guérisseuse, se sont soudainement fermées malgré mes précautions, je me suis engagé avec enthousiasme dans l’étude de l’origine de ce déchirement et des possibilités de le traverser. Je l’ai fait en interrogeant ces femmes dans des espaces de confiance où leur parole était libérée et en observant attentivement comment ma propre parole pouvait activer de façon invisible des mémoires ataviques et personnelles que les hommes n’ont jamais vraiment appris à reconnaître.

À ce jour, je constate que l’écueil est entier, la traversée reste à accomplir. Je ressens même profondément qu’elle ne pourra se faire de façon efficace que collectivement, parce que les mémoires en question ne sont pas issues de la seule histoire personnelle des unes et des autres mais sont enracinées plus loin dans l’histoire des femmes. Ce qui me semblait au départ n’être qu’un léger obstacle m’a sauté aux yeux comme un des nœuds fondateurs de nos échecs de civilisation.

Le dialogue serein ajouté aux déchirements les plus houleux m’a appris ceci : la femme s’est construite à travers les âges sur une réalité dont nous avons perdu le fil aujourd’hui : elles étaient contraintes, pour leur survie même, d’être dépendantes des hommes. Cette question « de vie ou de mort », déterminée par leur force physique généralement moindre et par leur place inférieure dans la structure sociale, a marqué de façon indélébile la psyché féminine au point de se réveiller violemment dans des moments apparemment incongrus pour l’homme, parce que ce dernier n’a pas été éduqué à cette réalité et que même s’il l’était, il n’a jamais éprouvé leur condition et ne pourra jamais savoir complètement ce que cela fait à l’intérieur d’avoir été dominée ainsi et de voir ce fantôme ressurgir. Beaucoup de femmes pensent cependant (avec la tête) en être aujourd’hui  libérées, certaines le sont un peu, sans doute, mais la plupart n’ont pas toujours conscience de la réactivation (dans le ventre) de ce type de mémoire en elles, même quand il n'existe aucune violence objective. Celles qui viennent à des groupes de travail comme les miens (ou dans d'autres groupes sur le thème du féminin qui fleurissent aujourd’hui) ont une certaine compréhension intuitive du problème mais le fait que les guides soient souvent des hommes ou que la tentative de se libérer de cette mémoire les conduise souvent à le faire instinctivement « contre les hommes » et, en tout cas, « par rapport aux hommes », ne fait que perpétuer le dilemme.

Autrement dit, même pour celles qui m’ont affirmé être pacifiées (quand ce n’est pas seulement désabusées) face à l’homme, ce dernier reste en fait inscrit à l’intérieur comme l’ennemi, une menace sourde en même temps que l’objet de toutes les attentes. Et parce que cette réalité est négligée (comme une honte ou plus simplement un phénomène non conscientisé, quand elle n’est pas en fait transformée en arme : « le rôle de la victime »), le piège peut s’ouvrir devant elles à tout moment, même dans des relations d’aide comme celle que je propose.

De façon concrète, par exemple, la parole « pénétrante » et « encadrante » de l’homme, aiguisée sur le roc de l’intellect, vient stimuler plus ou moins confusément l’impression de domination. L’homme est facilement décontenancé par une telle réaction, parce qu’il accorde à sa parole, dans ce genre de moment, une qualité de « vérité » qui lui semble primordiale et ne comprend pas ce rejet quasi « énergétique » de ses mots. Si, démuni devant la réaction trouble de son interlocutrice féminine, il insiste, la tentative de pénétration se fait plus forte et la fermeture se produit. Le ressenti de la femme est verrouillé, le mental perd sa cohérence et la confusion est totale, ne laissant la place qu’aux stratégies de défense (qui sont présentées comme des désaccords ou des incompréhensions).

C’est à cet endroit que j’envisage paradoxalement la possibilité d’un passage réel, comme un acte conscient et courageux qui aurait le pouvoir de tracer le chemin au travers d’un infranchissable, face à l'homme plutôt qu'en le fuyant ou le contournant. Mais ma proposition rencontre souvent une résistance, parce que beaucoup de femmes attendent encore trop de l’homme, en terme de soutien et de consolation (voire de réparation), plutôt que d’envisager qu’elles pourraient puiser en elles une force autonome qui leur permettrait de traverser le piège qu'elles voient se creuser devant elles. Cet ennemi absolu est aussi celui de qui on attend tout. Ce conflit intérieur extrême, s’il n’est pas éclairé en soi, continue de faire son œuvre. La main que je tends dans « les moments de crise » (que j’appelle aussi « moments initiatiques ») est ainsi souvent reçue comme une main qui blesse (qui veut faire du mal), même chez des femmes préparées mentalement à ce moment (note).

À la lecture de ces mots, on pourrait légitimement se demander si je n’aurais pas une part de responsabilité dans ce scénario et si je ne devrais pas d’abord me remettre en question. Je ressens en fait que je suis arrivé au bout de ce que je pouvais faire de mon côté pour aider à cette traversée salutaire. Je dirais même que j’ai acquis la conviction que je ne dois pas répondre à la demande d'être seulement une aide consolatrice et aimante, alors que l’enjeu est plus vaste : il est question de restaurer une force féminine autonome (ainsi que des expressions enfouies ou à découvrir) qui transcendent les mémoires du passé ainsi que les conditions « extérieures », même les plus délicates. J'ai constaté à quel point cet appel intérieur était prégnant chez les femmes et comment cette urgence spirituelle tombait à pic dans une civilisation en déclin.

Cependant, cette perspective a des conséquences concrètes qu’il faut vouloir assumer : le besoin souvent dévorant d’exister à travers le regard de l’homme (espérer sa validation), comme la volonté encore entretenue d’en faire un ennemi objectif (s'opposer viscéralement à lui), vont s’écrouler ensemble. Si cette perspective à deux volets n’est pas consentie, ou à peine envisageable, la traversée ne se fera pas. La « tête » dira oui, parce que le pressentiment d’une libération est présent, mais les mémoires diront non et le corps et les émotions vont se mobiliser pour faire barrage à la moindre occasion (comment rester ouverte quand tous les signaux d'alarme intérieurs appellent à se fermer ?). Pour une femme, ne plus « surinvestir » en l’homme comme source d’amour et d’accomplissement et en même temps comme cause totale de souffrance est un acte décisif qui pourrait avoir des conséquences positives immenses dans notre civilisation.

Je propose pour cela une approche dans des cercles féminins ponctuels, desquels je me retire comme accompagnateur, en parallèle d’un accompagnement en ma présence pour mettre en situation les traversées possibles.

Je précise que ce texte (et ses compléments, en évolution perpétuelle) qui se focalise sur un écueil féminin n’est évidemment pas exclusif d’un travail au masculin déjà proposé par ailleurs (lire Masculin pacifié). Cette page recevra régulièrement les témoignages et comptes-rendus de femmes participantes de mes ateliers.

Ateliers : mise en lumière des limitations (compte-rendu rédigé par Christiane)

Il était proposé que les groupes hommes et femmes travaillent sur trois points :

-    Les limitations dans notre relation à l’autre sexe

-    Comment les accompagner et les traverser

-    Ce qu’on attend de l’autre sexe pour nous aider dans cette direction d’une traversée.

Le groupe des femmes avait noté ces réponses :  

 

Limitations: le rôle de la victime, l’émotivité/la fragilité, le besoin vital d’exister à travers l’homme. 

 

Comment les accompagner : apprendre à reconnaître quand je suis dans la plainte ou la revendication et ne pas les cautionner ou les nourrir, accueillir l’émotion sans me battre contre elle, sortir du balancier « je suis une femme fragile »/« j’imite l’homme » pour découvrir et faire confiance à la force féminine qui existe en soi, indépendamment du regard de l’homme. Accepter ce sentiment de disparation, de mort, quand « le regard de l’homme m’est retiré » et l’accompagner en soi. Prendre conscience que ce que nous appelons violence est souvent plus une mémoire et une peur qu’une réalité, et accepter de se laisser traverser sans offrir un mur de refus (le refus est ce qui fait mal). Dans le cas où la violence serait objective, cette force d’accueil de la femme a le pouvoir de désamorcer les conflits et la plus grande violence, même physique. 

 

Quel soutien de l'autre sexe ? : que l’homme laisse l’espace et le temps à la femme, individuellement et dans l’organisation de la société, pour explorer des approches sensibles, intuitives et parfois floues, encore confuses, des espaces de parole et d’action non conditionnés par le mental et l’intellect où il soit possible d’être « dans l’informe », sans structure ni objectif, pour explorer le monde féminin, avec le soutien de l’homme plutôt que son indifférence, qu’il soit présent à cette exploration, qu’il l’accompagne aussi par son regard pointu, exigeant, mais sans brimer, minimiser ou rejeter. Laisser la place et l’espace au monde féminin qui ne se connaît pas encore et être avec elle dans cette exploration, en appréciant même les petites choses comme un bouquet de fleurs.

 

Mise en lumière des stratégies :

 

Face à un homme perçu comme agressif ou dominant, la femme a plusieurs attitudes :

-   Elle se positionne en inférieure, mais donne, l’air de rien, de nombreux conseils pour essayer d’obtenir ce qu’elle veut. 

-   Elle se positionne en supérieure, « mère de tous les fils », et abuse parfois de son pouvoir pour écraser l’homme.

-   Elle « joue la blonde », l’idiote, celle qui ne sait rien et demande de l’aide, tout en prenant l’homme pour un imbécile parce qu’il ne voit rien. Comme il aime « jouer les sauveurs », son énergie change, il n’est plus agressif. Ce jeu un peu pervers repose sur des mécanismes ancestraux : « Moi Jane toi Tarzan », utilisés pour se protéger ou obtenir quelque chose, avec en arrière-plan un jeu sexuel fondé sur le fait que l’homme veut posséder ce qu’il protège. 

La femme qui souhaite « être la meilleure » et se rapprocher du « mâle dominant » veut le pouvoir. Comme la mante religieuse, elle ne souhaite pas le partager avec lui, mais le phagocyter.  Cette attitude conduit à voir toutes les femmes comme des rivales et les autres hommes comme « pas à la hauteur ». 

Dans le couple, la « peur qu’il me quitte si je m’affirme » conduit la femme à se taire même si elle n’est pas d’accord. Elle se coupe de son compagnon, s’éloigne intérieurement et peut aller jusqu’à la séparation. La peur d’être abandonnée cache le refus d’être dominée. Elle préfère la séparation plutôt que de lâcher son opinion et la responsabilité est mise sur l’homme qui ne l’a pas entendue ou pas comprise. Une autre solution est la patience. Elle attend les moments où l’homme verra qu’elle a raison aussi, où il reconnaîtra sa façon de voir. Elle veut être entendue. 

La peur de la violence est toujours sous-jacente. Pourtant, en même temps que la peur de la violence, il y a aussi le refus de la domination, de se sentir inférieure, et le désir de « reprendre le pouvoir ». La femme se voit par rapport à l’homme comme « celle qui a perdu le pouvoir et veut le retrouver ». 

En réaction, pour ne pas être soumise à la force physique de l’homme, elle peut chercher des moyens d’être « comme lui » : pratiquer les arts martiaux, et apprendre les armes des hommes comme la pensée rationnelle, logique. Elle reconnait pourtant que c’est voué à l’échec : elle ne devient jamais aussi forte ni aussi rationnelle et se perd elle-même, elle ne se sent pas plus libre. 

Elle se sent prisonnière du rationnel de l’homme, avec l’impression d’être face à quelque chose de carré, un cube dans lequel elle n’arrive pas à entrer. Les hommes n’entendent pas son sous-texte. 

 

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note : L'effet est parfois "dramatique" dans la forme mais toujours alchimique. Mes paroles, mon attitude, mon apparence ou quoi que ce soit peuvent, par exemple, éveiller chez mon interlocutrice le réflexe de fuir à toutes jambes parce qu'une partie d'elle croit/ressent instinctivement qu'un étau va se refermer sur elle à cause de mémoires personnelles ou collectives. Dans un tel moment, l'idée est de rester face à "l'ennemi fantasmé" et de ressentir pleinement l'effet que ça fait à l'intérieur plutôt que d'argumenter ou de réagir. En étant simplement "avec" ce ressenti volcanique, une réelle traversée est possible. Le désir de traverser "en face" est un préalable indispensable, et la présence de l'accompagnateur/ennemi virtuel sur ce type d'obstacle intérieur est généralement incontournable (puisqu'il est présent de façon dynamique). C'est pourquoi je considère les tentatives de dépasser l'obstacle en différé (en y réfléchissant mentalement ensuite) et les pseudo-autonomies (le fait de croire qu'en fuyant "l'ennemi", le problème est réglé), comme des évitements. Je précise que je ne remets pas en question la notion d'autonomie, car elle est au coeur de ma démarche, mais il est évidemment préférable de ne pas la dénaturer par des approximations et des éllipses. Une traversée vécue "face au fantasme" (du gourou, du père, de l'homme etc., ou d'autres choses pour un homme face à une femme, quand ces peurs sont uniquement projetées) est précieuse, et mérite de ne pas être négligée au risque de pratiquer des fuites adolescentes. Le problème de l'autorité ne se résout pas par la suppression de l'autorité, comme le problème objectif que l'homme a posé à la femme depuis des temps immémoriaux ne se résout par la suppression de l'homme (ce qui a été une tendance du féminisme un temps et qui revient souvent par la bande dans certains groupes de femmes aujourd'hui). On traverse toujours ces gros écueils "face à..." et non "par la tête", ni dans la solitude après la fuite (voir la vidéo "Le moment initiatique"). (revenir au texte)

 

 

©Thierry Vissac, Textes, photos et dessins sur toutes les pages du site .