ISTENQS
Ici se termine enfin
Notre quête Spirituelle
 

 

 

 

 

 

Une âme en paix

dans un  « corps de merde » ?

 

ou une dérive de la non-dualité occidentale

(extrait du livre "Pièges et illusions de la démarche spirituelle" de Thierry Vissac)

 

 

I... est une petite entreprise de distribution de livres et de vidéos à Paris spécialisée dans la "non-dualité". Mais leur équipe commerciale ne se contente pas de distribuer des produits, ils ont leur petite idée sur "la vérité" et ils l'exposent avec perte et fracas : un dossier de plusieurs pages tente de faire la description de la "vraie non-dualité" (Advaita). Un texte sur la page d’accueil de leur site semble représentatif de leur "vérité" :


(...) Le corps produit de la merde et de la pisse. Ce n'est rien qu'une manufacture de merde. Il est quelque chose de sale et tant que l'énergie est présente, vous lui vouez de l'adoration mais lorsque l'énergie s'épuise, vous cherchez à vous en débarrasser aussi vite que possible. Le corps est ce qu'il y a de plus sale et pourtant vous dites : "Je suis ceci "!  Ranjit Maharaj

 

Récemment, au cours d'un dialogue avec ma maison d'édition, une responsable de cette entreprise s'écriait : « La condition humaine est un concept ! »

 

Les bases sont posées : corps et humanité ne font pas partie de leur tableau. À l’école "non-duelle", on progresse dans le néant. Le « monde n’existe pas » et même ceux qui croient y vivre, vous et moi, « sommes des illusions ». Tout cela n'étant qu'un produit de la pensée… Je ne fais pas semblant d'ignorer le sens originel de ces paroles et l’enseignement qu’elles étaient censées apporter mais, puisqu’il est question de faire le ménage des vérités, je vous propose ma version :

 

La condition humaine titille chacun à chaque instant, même sous les masques pieux ou derrière les formules non-duelles. C’est une réalité quotidienne. Combien parmi ceux qui se réclament de "la non-dualité" aujourd'hui répètent les expressions standards (voir en particulier "la maladie de Lucknow") de leur école spirituelle sur un fond de terreur, de fuite et de déni ? J'en ai compté à peu près neuf sur dix parmi ceux que j'ai rencontrés : vibrants de colère chaque fois qu'ils sont invités à reconnaître ce qu'ils vivent réellement dans l'instant plutôt que d'être laissés à réciter leurs formules ou s'inventer une paix "qui est déjà là" ... mais qu'ils n'ont en réalité jamais connue; qui leur est, en fait, inaccessible parce que toute leur attention est mobilisée par leurs tourments personnels.

 

La non-dualité, telle qu’elle est enseignée selon les principes énoncés plus haut, a finalement produit plus de "coupure" que n'importe quelle autre école spirituelle : une boîte mentale posée sur un tronc mal aimé.  Je ne dénonce pas nécessairement le témoignage des enseignants de la non-dualité mais la tragique utilisation qui en est faite par des milliers de personnes.

 

La plupart des personnes engagées dans des démarches spirituelles sont pétries de blessures personnelles, de traumatismes et de névroses. Elles cherchent sincèrement une porte de sortie. Beaucoup d’entre elles sont prêtes à tout et celles qui ont le malheur de rencontrer les « apôtres de la coupure » s’y jettent corps et âme (enfin, « âme » surtout puisque « le corps est de la merde »). Pour toutes ces personnes qui pensent avoir trouvé un remède dans le fait de placer un couvercle sur le volcan qui les habite, la quête du « pur esprit » (un mirage antique qui n’a pas attendu la nouvelle vague de la non-dualité pour faire ses ravages) se présente d’abord comme un espoir puis devient rapidement un outil de division, voire une arme de guerre.

 

Il n’y a pas plus diviseur que la non-dualité telle qu’elle est comprise depuis une vingtaine d’années. Là où son enseignement laissait entendre qu’il n’y a « pas deux », l’adepte comprend « je ne suis pas ceci » et « pas cela » etc. La liste est longue, la division omniprésente. Quel paradoxe ! Quel aveuglement !

 

Et là où il aurait eu le plus besoin d’accueil et de bienveillance, il pratique la négation et le rejet. Le rejet de ceci ou de cela traduit plus sûrement un malaise qu’une véritable désidentification.

 

La souffrance qui sous-tend de telles attitudes est palpable et m'a conduit à adresser directement cette faille dans la démarche de tant d'individus aujourd'hui, risquant la polémique mais pariant sur la capacité de quelques-uns à recevoir ce conseil d'ami. Plutôt que d'évoquer des réalités généralement inaccessibles aux chercheurs (et qui finissent par n'être que des images mentales, créant un univers parallèle à l'endroit même où l'on parle de "non-dualité"), il me semble essentiel aujourd'hui de les interpeller au sujet de leurs fuites du réel (voir "Etre avec ce qui est"), en particulier ce repli dans la niche mentale depuis laquelle certains d'entre eux aboient des paroles de sagesse.  Il y a là une détresse voilée qui s'exprime et éveille la compassion malgré la violence des propos. 

 

Ce qui est là" ou le fameux "ici et maintenant" ainsi que toutes ces formules similaires, dans leur utilisation actuelle, font trop souvent l'économie de la condition humaine, lui préférant des abstractions froides, des ellipses intellectuelles, des complications, en somme, qui se déguisent en simplifications, tout simplement parce que la quête spirituelle est très souvent fondée sur une fuite du réel.

 

Il y a un sérieux manque d'amour à l'endroit de l'instant présent et une sérieuse méprise... "Ce qui est là, ici et maintenant" est bien plus simple et mérite toute notre attention et notre accueil. Telle est la réalité à laquelle chacun peut s'éveiller. Et l'accueil ne fait pas de tri. L’accueil de toute chose est non-dualité, et le corps, ses produits, ses causes et ses conséquences sont ainsi perçus de manière globale comme de petites merveilles, des expressions d’une Intelligence divine. Comme toute chose. A partir de cet Accueil, des valeurs plus subtiles peuvent être rencontrées de manière vivante.

 

Il n’y a bien sûr pas plus de « vérité absolue » dans mes mots que dans ceux de cette petite entreprise. Tout ce qui produit la division n’étant que méprise, nous pouvons facilement nous retrouver au-delà des mots pour peu que l’on n’y soit pas trop attaché. Mais je fais le vœu, cependant, qu’ils soient l’occasion d’une investigation attentive et dépassionnée (non dogmatique) parce que la situation le demande et qu’une nouvelle fraîcheur pourrait bien naître de ce marasme. Nous ne sommes d’aucune école, esclaves d’aucun concept ni préjugé. Nous aspirons essentiellement à vivre l’Amour et l’accueil. Et pour que ces réalités soient vivantes, il est nécessaire d’abandonner toute notion de rejet, de « pas ceci, pas cela » et d’accueillir « à bras ouverts » le champ infini de l'Intelligence de la Vie, depuis sa source jusqu’à ses multiples expressions.

 

Thierry Vissac                                                      


Advaita est un terme sanscrit qui veut littéralement dire : « pas deux » ou « non-dualité ». Shankara (700-750 après JC) est considéré comme le premier promoteur de cette perspective « non-duelle ». Il est aussi un des premiers à présenter le corps comme un « sac de merde » : « Comment (le corps) cette outre remplie de choses corrompues… cet amalgame de choses immondes… pourrait-il être le Soi ?» (Viveka-Cuda-Mani versets 158-161). Mais les enseignements d'une forme plus radicale de non-dualité ont été principalement diffusés en Occident par les disciples de Ramana Maharshi (1870-1950) : H.W.L Poonja en Inde et ses disciples occidentaux ou Nisargadatta Maharaj. Ranjit Maharaj est un autre de ces enseignants dont un extrait des propos est publié ci-dessus. Chacun d’entre eux joue du concept d’illusion, amenant, plus ou moins volontairement, les disciples aux interprétations décrites ci-dessus. D’autres peuvent occasionnellement rappeler qu’il ne « devrait pas exister de différence entre l’individu et le Soi » et qu’il « doit y avoir une vision unitaire », mais n’hésitent pas à revenir à la négation de l’existence individuelle un peu plus loin dans leurs discours. Ramana Maharshi, lui-même, considéré comme la référence absolue, n’est pourtant cité qu’à partir de ses écrits purement « non-duels » alors qu’il évoquait souvent « Dieu » dans certains textes dévotionnels (donc « duels » par définition, car si un individu s’exprime au sujet de ou s'adresse à Dieu, il y a « deux ») : « Chacun de nous est pris en charge par Dieu, c’est lui qui a tout créé » (« l’enseignement de Ramana Maharshi », chez Albin Michel) - et par conséquent rejetés par les puristes de la non-dualité dévoyée à l’occidentale. La non-dualité telle qu’elle est connue aujourd’hui apparaît ainsi bricolée par certains disciples occidentaux à partir des injonctions qui les arrangent, probablement sur la base de leurs propres peurs et limites, voire parce que cette « philosophie » est simple à promouvoir.

 

Lire d'autres articles au sujet de la "non-dualité"

 

Lire "Pièges et Illusions de la démarche spirituelle"

 

Un regard sur la relation d'aide : lire "L'ami spirituel"

 

 

 

© Thierry Vissac, Textes, photos et dessins sur toutes les pages du site .