ISTENQS
Ici se termine enfin
Notre quête Spirituelle

  

Intervention

lors d'un congrès sur la Non-Dualité

Thierry Vissac

 

Paris - 15 et 16 novembre 2003  Organisé par Jean-Marc Mantel

Nous pouvons nous rencontrer dans un espace au-delà de toute forme de savoirs. Pour cela, nous devons accepter de n’être d’aucune école, pas même de l’école non-duelle. Dans la cour de récréation de toutes les écoles, nous nous rencontrons.  

A l’école, la tendance de l’élève est d’enregistrer des informations. Ces informations sont des pensées. Une pensée spirituelle peut pointer dans la direction d’une certaine réalité mais la pensée n’est pas la réalité qu’elle désigne. Il est assez fréquent - et nous connaissons tous cela - que nous adhérions intellectuellement à une pensée et que nous prenions cette adhésion intellectuelle pour une réalité. Nous ne rencontrons jamais la réalité par la pensée.

 

C’est pourquoi, aujourd’hui, si nous parlons d’une vraie rencontre, celle-ci ne peut se faire qu’au-delà de toute forme de savoirs.

 

À certains moments de notre existence personnelle, nous prenons conscience d’être engagé dans une course, une tourmente, un emportement et le désir apparaît de sortir de cette course. C’est alors que, parmi d’autres possibilités, nous pouvons choisir de nous engager dans une démarche spirituelle. Cet emportement de la vie personnelle est cependant souvent transféré dans la démarche spirituelle elle-même. Nous sommes alors engagés dans une course spirituelle. Le coureur qui, par une prise de conscience passagère, fait l'expérience d'une suspension momentanée de sa course, peut ainsi se transformer en coureur spirituel au lieu d’abandonner la course.

 

C’est pourquoi, si nous souhaitons nous rencontrer aujourd’hui, les uns et les autres, et nous rencontrer nous-mêmes, il n’y a, à mon sens, qu’une seule possibilité, celle qui consiste à se rejoindre dans cet espace au-delà de toute forme de savoirs. Si ces paroles font un écho en vous, ou éveillent une reconnaissance de ce que la pensée désigne, alors nous pourrons peut-être évoquer plus profondément ces retrouvailles dans l’espace au-delà de toute forme de savoirs.

 

Si vous venez me rencontrer à l’atelier de demain, je vous poserai une question, sous une forme ou sous une autre et qui dira à peu près : « Etes-vous à bout de course ou avez-vous transposé la course dans votre quête spirituelle ? ». C'est une question que je crois exigeante parce qu’elle implique qu’il y ait, au préalable, une acceptation à franchir le barrage des pensées, des certitudes, des croyances et toutes ces formes mentales auxquelles nous sommes très attachés. Nous sommes tous concernés par cette réalité et tout le monde peut gagner à se soumettre à cette question.

 

Avez-vous des questions ?

 

Q : Comment savoir que l’on est à bout de course et comment avez-vous su que vous l’étiez ?

 

R : Aussi simplement qu’un coureur réalise - alors qu’il faisait un 110 m haies - qu’il vient de tomber par terre. Il y a quelque chose qui ressemble à un effondrement. Par effondrement, j’entends : une brèche dans cet attachement à toutes les formes de savoirs, celles-là même qui nous poussent à courir au loin afin de nous retrouver. La brèche peut se produire de différentes manières. Certains événements de l’existence personnelle semblent contribuer à créer une brèche mais j’ai pu constater que cette ouverture est un non-événement dans le sens où il n’est pas directement lié à ce qui l’aurait produit, à un déclencheur. Il peut se produire une brèche dans l’instant de cet échange. Peut-être alors direz-vous avoir ressenti une confiance ou un écho dans ce qui était dit. Nous pourrions penser que ce qui a produit une ouverture était votre écoute. C’est partiellement vrai. Mais il est vrai également que si l’on veut contribuer à l’interruption de la course, une grande disponibilité est nécessaire. C’est une forme d’humilité, pas un exercice d’humilité mais quelque chose qui est présent tout de suite, pour chacun. Nous pouvons tous reconnaître quand nous nous « racontons des histoires », quand « nous sommes dans notre tête », quand « nous croyons à ce que nous disons ». Est-ce que je crois à ce que je dis au moment où je parle dans ce micro ? Cette question simple que l’on peut se poser à soi-même est une question qui contribue aux retrouvailles dans l’espace au-delà de toute forme de savoirs. En tout état de cause, s’il y a une destination ou un objectif véritable à la course, il se réalise dans son effondrement. C’est une simplification radicale pour le coureur puisque, dans ces conditions, il ne bouge plus.

 

Q : J’aimerais savoir ce qui est à l’origine de votre démarche spirituelle. Certains ont vécu une souffrance, d’autres ont vu un coucher de soleil. Qu’en est-il pour vous ?

 

R : Une déception spirituelle. Je me suis investi 18 ans dans un mouvement spirituel. Cet investissement était sincère, avec tout ce que cela comporte en illusion. Je souhaitais rejoindre les sommités de ce mouvement. Cela ressemble plus à une escalade qu’une course, l’image peut être transposée. J’avais la certitude qu’en arrivant à ce sommet, en me rapprochant des sages ou de ceux sur qui je faisais une projection de sagesse ou voyais des modèles, j’allais accéder à quelque chose. Cette escalade était désespérée et je suis arrivé à un point de rupture salutaire. Il est certain que dans ce genre de rupture, il y a un aspect de souffrance. Tout ce qui est habitué à la routine, le corps, les émotions, le mental, est affecté par la rupture, c’est comme un choc. La rupture s’est produite parce que ce que je croyais s’est révélé être faux, c’est en tous cas ainsi que je l’ai perçu et peu importe d’ailleurs le vrai ou le faux. Je me suis dit : « Si c’est ce qu’on trouve au sommet, ce n’est pas la peine ! ». La peine ne décrit même pas ce qui se produit en cet instant. C’est équivalent à ce que ressentirait quelqu’un qui a investi tous ses espoirs dans le paradis après la mort et à qui on annonce brutalement : « Il n’y a pas de paradis ! ». Les composantes de la rupture sont sans importance également - le fait de tomber malade ou de vivre une exaltation, par exemple - mais cette rupture est salutaire. C’est la rupture du continuum de croyances et de certitudes. Les cercles spirituels sont remplis de certitudes et de croyances et la rupture est au moins aussi salutaire dans ces cercles-là que partout ailleurs.

 

Q : Je me sens touché par ce que vous exprimez. Est-il possible de chercher quelque chose qui est déjà là ? J’ai un goût et je cherche peut-être quelque chose qui est déjà là…

 

R : Le pressentiment en question est à l’origine de la course. Mais la course que l’on justifie par ce pressentiment est une erreur. Le pressentiment donne l’impression qu’il faut aller quelque part. Le pressentiment est réel, le « quelque part » est faux.

 

Q : J’ai vécu à plusieurs reprises des moments de grâce, des absences de peur…

 

R : On court en effet parce que l’on a peur. On fuit quelque chose. Et que fuyons-nous à votre avis ?

 

Q : Le regard des autres, le jugement, le fait de s’exposer … ?

 

R : Ce sont des ramifications. Il y a quelque chose qui précède tout cela : c’est soi-même que l’on fuit. Au moment de la rupture, on réalise que l’on est seul avec soi-même, c’est une nudité qui peut sembler inacceptable. Il y a beaucoup de points de rupture dans une existence mais ils déclenchent souvent d’autres courses. Il y a les moments de grâce et  il y en a d’autres, sur lesquels nous ne mettrions pas l’étiquette de la grâce, qui en sont également. On ne voit pas la grâce parce que ce qui s’est passé, c’est que l’on a accéléré le pas à l’instant où quelque chose nous invitait à abandonner la course. C’est pourtant une simplification radicale de la quête spirituelle. Mais cette simplification comporte une exigence. L’exigence, c’est réaliser que ce que l’on fuit à toutes jambes, c’est soi et, en conséquence, la disponibilité doit revenir à cette réalité que l’on fuit. Si on peut envisager que cette rencontre avec soi, au-delà de tous les savoirs, est salutaire, il est possible que nous ayons moins envie de courir. Mais il faut bien regarder, parce que si le désir de courir est là, c’est parce qu’on a peur. Et cette peur est compulsive. C’est pourquoi, il est nécessaire de mettre un coup de projecteur, de conscience sur ces zones verrouillées.

 

Q : Je vis en ce moment un paradoxe, une grave maladie de mon mari et une joie en même temps.

 

R : Cela nous conduit à parler des artifices de la course. Il n’y a en effet pas de contexte idéal à l’abandon de la course. On ne se rencontre pas plus facilement, ou on n’arrête pas plus facilement de courir, dans un environnement particulier. La joie peut naître en toute situation. Cette joie est à rapprocher du sentiment qui se révèle au moment de l’abandon de la course. Il n’y a pas à attendre quoi que ce soit et il est probable que votre témoignage indique que vous êtes déjà dans cette réalité de l’abandon.

 

Q : Pourquoi ne vous-êtes vous pas arrêté avant l’effondrement, pourquoi attendre de tomber pour arrêter la course ? Pourquoi courons-nous ? Pourquoi les choses n’arrivent-elles pas d’elles-mêmes ? Pouvons-nous faire l’impasse de l’effondrement ?

 

R : Si l’origine de votre question est le désir de faire l’impasse sur quelque chose, je réponds non. Vous pourriez reprendre vos questions et y répondre par vous-même.

 

Q : Les personnes qui ont dépassé quelque chose, les coureurs qui se sont effondrés, « savent » tout à coup et ils disent « il n’y a rien à faire ». C’est ce qu’on entend à chaque fois. « Il y a juste à être là ». Pourquoi alors n’en sommes-nous pas là, tout simplement ? Vous voyez ?

 

R : Dans l’abandon de la course, le coureur disparaît. Le coureur qui veut arrêter de courir fait une erreur. C’est une erreur de parallaxe.

 

Q : Vous dites que la recherche de connaissance est une course ?

 

R : La recherche de connaissance peut être une fuite de soi, oui. La connaissance dans le sens où j’en parlais tout à l’heure, c’est-à-dire « le savoir », une accumulation de notions, sur la cosmogonie, par exemple. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de valeur en cela ou même qu’il s’y trouverait une valeur. C’est une question intime, chacun peut regarder pour lui-même : sommes-nous dans une accumulation de savoirs parce que nous voulons masquer quelque chose dont nous avons peur et que nous fuyons ?

 

Q : Nous sommes des « quêteurs », que tu appelles « coureurs », en recherche de quelque chose que l’on découvre au fil du temps. Je fais bien la distinction entre connaissance et savoir. Mais est-ce que cette quête de notre « êtreté » est, selon toi, une course ? Pour toi, si je comprends bien, il faut tout arrêter et l’objet apparaît alors, ou peut-être n’y a-t-il pas d’objet selon toi ?

 

R : Si la connaissance dont on parle est la connaissance de soi, on peut dire à ce « quêteur » qui se met en marche quelque part pour se connaître lui-même qu’il peut s’arrêter. La connaissance de soi n’est pas un déplacement dans l’espace et le temps….Si ce que je dis vous semble incompréhensible, vous pouvez me le dire, bien que nous ne soyons pas ici pour comprendre quelque chose…

 

Q : Deux questions : pourquoi nous fuyons-nous et pourquoi dites-vous que l’arrêt est salutaire ?

 

R : Pourquoi vous fuyez-vous ?

 

Q : Je n’ai pas l’impression de me fuir.

 

R : Etes-vous engagé dans une course ?

 

Q : Une quête, oui, une course, non…

 

R : La question est : cette démarche dans laquelle vous êtes engagé correspond-elle à une fuite de quelque chose ? C’est une question à laquelle il faut apporter un peu d’attention, c’est une question intime. Ce n’est pas important que vous me disiez oui ou non. Quant à l’arrêt, il est salutaire parce qu’il amène la révélation de ce que je suis, avant d’être devenu un coureur. Après également, car le coureur tombe à un moment ou un autre.

 

Q : Je pense que l’on court quand on va chercher l’autorité à l’extérieur, quand le seul mouvement à faire est de se tourner vers soi et de retrouver sa propre autorité. On n’est alors plus dans le « faire », mais dans la disponibilité. Ai-je compris ?

 

R : Oui, mais il y a là un point délicat qui pourrait produire des heures de dialogue. La réalité du « maître intérieur » est un sujet délicat. Le maître intérieur est souvent le coureur qui avance déguisé. S’il doit y avoir un point de référence en soi, il faut que ce point de référence ne soit pas un élément de la course. C’est pourquoi quand on arrête de courir, on est dans une rencontre assez abrupte avec soi. Beaucoup d’artifices, de complexité, de stratégies s’effondrent alors. Dans cet effondrement, le point de référence, le soi, ou le maître intérieur, ce qui peut nous faire dire « Je n’ai plus besoin de chercher une autorité à l’extérieur » est alors une réalité vivante. Ce n’est plus une adhésion intellectuelle dont je parlais précédemment. Cette adhésion est très populaire dans les cercles spirituels puisque toute personne ayant quelque difficulté avec l’autorité extérieure se trouvera très bien à l’idée de retrouver en elle sa propre autorité. Ce que vous disiez est juste mais je souligne ceci dans la perspective de ne pas « se raconter d’histoires ». Cet arrêt de la course est une révélation. Dans cette révélation, toutes les choses que vous avez entendues à ce sujet, prennent leur sens, profondément…

 

Q : Merci.

 

Q : J’ai le micro, pardon : ce corps a le micro…

 

R : Voilà une expression de coureur !  (Lire codes d'une spiritualité mentale)

 

Q : Est-il possible à quelque moment que ce soit que je ne sois pas ce que je suis, ou que tu ne sois pas ce que tu es ? Comment pourrais-je fuir ce que je suis ?

 

R : Un moyen de fuir ce que tu es est de t'exprimer de cette manière. Avec ce type de langage, nous entrons dans le domaine de la spiritualité mentale. Alors même que l’on parle d’une réalité qui est déjà présente, nous nous en éloignons. C’est une question de présence à ce qui est dit, d’énergie et la façon d’énoncer les choses. Dès qu’il y a une complication, une circonvolution mentale, il y a quelque chose comme une fuite. Et, en conséquence, « je ne suis pas ce que je suis » parce que « je suis dans ma tête ».

 

Q : Je n’ai pas dit que je ne suis pas ce que je suis mais au contraire que je ne peux pas éviter d’être ce que je suis.

 

R : Sauf maintenant, justement, à cause de ce langage qui veut garder la distance… avec quoi ?

 

Q : Ce point de rupture n’est-il pas une vision du coureur, le coureur qui trébuche et réalise que sa course est inutile, qu’il fait fausse route ?

 

R : Le sens de cette conversation vient d’une expérience que je fais couramment en parlant à certaines personnes : dans le cours du dialogue, il peut y avoir une rupture. C’est la seule raison de cette conversation, sans quoi nous gagnerions à nous taire. Nous parlons beaucoup trop.

 

 

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