Nos enfants et
notre civilisation ont grand besoin d’une école qui ne soit pas
centrée que sur les « savoirs » et qui inclue la dimension de
« l’être ». Affirmant cela, je ne dis rien de neuf pour toute
personne concernée par l’éducation. Mais je constate que, malgré
les bonnes volontés, trop peu a été accompli dans cette
direction. Au contact d’adultes engagés dans la connaissance de
soi, depuis une trentaine d’années, j'ai pris conscience d'un
manque profond qui trouve en grande partie ses racines dans
l’éducation de l’enfant que nous étions.
Pour commencer,
nous souffrons de
méconnaissance
de soi. La plupart des individus des sociétés occidentales sont
ignorants de leur vécu le plus intime. Tous ont appris à penser,
à cogiter et à se faire du souci et peuvent parfois discourir
sur des concepts politiques ou philosophiques. Mais les
constituants de leur « vie intérieure » leur sont comme
inexplorés. Il m’arrive d’interroger : « Savez-vous ce que vous
ressentez dans l’instant ? ». Il n’est pas rare qu’on ne sache
pas me répondre. Le simple ressenti immédiat n’est pas
« conscientisé » et si nous sommes plus ou moins capables de
rapporter ce que nous « pensons », nous avons le plus grand mal
à reconnaître ce que nous « ressentons » et « éprouvons ».
Qu’enseignons-nous à l’enfant dès les premiers instants
de sa scolarité ? Il est objectivement précipité dans un
environnement nouveau, loin du cocon familial, et découvre
brutalement la compétition des cours de récréation et des salles
de classe. On lui explique qu’il va devoir engranger des savoirs
et que ses maîtres et ses parents seront fiers de lui s’il les
apprend bien. Mais on ne lui demande généralement pas ce qu’il
ressent et personne n’est présent pour l’accompagner dans le
trouble qui naît en lui face à ce nouveau monde. Je considère
cette lacune comme une des blessures fondamentales de l’être
humain, une des premières marques qui nous conditionne à séparer
le monde du ressenti intime de celui de la pensée. Ainsi, toute
la richesse de la vie intérieure est occultée au « profit » de
la culture de l’intellect. Cette orientation a été justifiée par
le fait que l’école a évolué vers une compartimentation qui
semblait salutaire entre ce qui est transmis dans
l’établissement scolaire et ce qui est transmis par les parents.
Les parents seraient de cette façon en charge de la spiritualité
de l’enfant (voire de décider de ne rien lui transmettre à ce
sujet) et l’école aurait pour rôle de traiter exclusivement du
reste. Les parents étant parfois eux-mêmes assez confus sur leur
propre vie intérieure, depuis l’émotion jusqu’au sentiment
spirituel, il n’est pas rare que l’enfant ne reçoive aucune
information ni accompagnement relatif à cette dimension de
l’être.
Afin de réouvrir ces frontières
artificielles qui se sont mises en place, je propose depuis une
douzaine d'années aux adultes une méthode
d’accompagnement autonome
de leur propre vie intérieure. Cette approche avec les adultes
est cependant une tentative de
réparer quelque
chose. Elle est nécessaire et porte ses fruits, mais il me
semble évident qu’il faut envisager de proposer une
réconciliation avec la vie intérieure beaucoup plus tôt, aux
enfants d'âge scolaire, parce que cela permettrait de vivre une
vie plus harmonieuse, plus consciente, mais également de
réinventer notre civilisation sur des bases réellement neuves et
régénérées.
Quand je dis « auto-accompagnement », de
quoi est-il question et comment cette approche ouvre-t-elle les
portes de nos potentialités ? Par cette expression, j’évoque,
pour un être humain, l’acte d'accompagner son propre ressenti
par le biais de l’attention. Par « ressenti », je n'entends pas
seulement les sensations corporelles qui ont déjà obtenu leur
heure de gloire dans le développement personnel. J'inclus les
émotions, les sentiments, les intuitions et toutes les strates
plus subtiles de la conscience.
La façon la plus simple de présenter
cette méthode est d'utiliser l'image de la vague, indiquant que
tout mouvement intérieur (une émotion, par exemple) est comme
une vague qui se soulève à l'intérieur de soi et redescend. Dans
son mouvement le plus naturel, une émotion monte en soi comme
une vague et redescend. Accompagner un mouvement intérieur comme
celui de l'émotion, c'est ressentir le mouvement de cette vague
intérieure, la laisser être et la laisser se dissoudre. Ce qui
nous est donné de vivre de la façon la plus naturelle, c'est
d'accompagner ce mouvement sans ni le fuir, le réprimer, ni
tenter de le maîtriser, le contrôler ou de le conserver ou le
faire durer plus longtemps. Le fait de restaurer une relation
plus accueillante avec notre vie intérieure dans toutes ses
dimensions a déjà une vertu thérapeutique (cela permet, en
particulier, de réduire l’habitude du contrôle dans notre
existence). Dans un second temps, l’acte du retour à soi qui
autorise la reconnaissance de son ressenti permet d’être de plus
en plus en amitié avec notre vie intérieure. Dans nombre de nos
démarches, l'idée que l'on doit se débarrasser de certains
éléments à l'intérieur de soi pour devenir quelqu'un d'autre,
évoluer ou se transformer est prégnante. Mon approche est
radicalement à l’inverse de cette conception. Je propose un
autre postulat : rien de ce qui s'anime en soi n’est, en soi, un
problème, une menace, mais notre relation à tous ces événements
intérieurs
est devenu
le problème. J'utilise donc une expression pour résumer la
relation à la vague intérieure, je propose « d'être avec ». Être
avec est un auto-accompagnement, dans le sens où il s'agit
d'utiliser une capacité unique parmi les espèces vivantes,
propre à l'être humain, celle d’être attentif à soi-même. Nous
sommes la seule espèce vivante qui en soit capable, mais
curieusement, nous sommes aussi celle qui ne le fait
pratiquement jamais. Enfin, ce « retour à soi » sur le fil des
ressentis les plus divers, sans en écarter aucun ni tenter d’en
privilégier d’autres, ouvre la voie royale de la découverte de
notre potentiel.
Ces trois niveaux de réconciliation sont
bien accueillis par les adultes. Mais je ne pouvais pas laisser
les enfants à l’écart de ce processus. Ainsi, avec des personnes
travaillant avec moi depuis quelques années, nous sommes arrivés
aujourd’hui à publier un livre, « Mes Émotions… Des visiteuses
inattendues », qui offre aux enfants, dans un langage adapté, la
possibilité de renouer avec leur vie intérieure et de poser dans
le même élan les bases d’une éducation qui n’exclut plus cette
dimension vitale de notre existence. D’autres outils pour les
plus petits et les plus âgés sont en cours d’élaboration.
Lorsque je m’adresse aux adultes, je leur
dis : « L’attention est la clé, le ressenti est la porte ». Le
contact avec des parents comme avec leurs enfants m’a confirmé
que nous sommes tous en attente d’une approche qui révolutionne
vraiment l’éducation et ne traite pas seulement de la
transmission des savoirs et des effectifs d’enseignants. Une
école qui n’apprend qu’à être vivant par la tête, sans attention
sur le ressenti, ampute l’humain de son assise, du fondement de
son être. Elle le condamne à devoir gérer de façon confuse et
maladroite ses émotions et ses désirs, à nier ses aspirations
profondes, voire à ne pas les reconnaître du tout. Elle le
soumet à une impossibilité de traverser ses résistances,
blocages et limitations (voir le livre : « Traversée, trois
étapes clés pour une libération »).
L’auto-accompagnement est devenu l’élément
central d’un projet plus global pour refonder l’école et une
pédagogie qui prend en compte tous les éléments du « socle
commun » actuel de l’enseignement, mais en les régénérant. Cette
possibilité d’une réconciliation intérieure, d’une vie plus
consciente et d’un accompagnement autonome de ce qui nous
traverse en tant qu’être humain est une approche encore neuve
mais qu’il est urgent de restaurer dans notre monde autant pour
l’individu que pour notre société.
Invitation : «
La connaissance de soi dans le socle commun de l'enseignement ?
» Tournée française
autour du livre « Mes
émotions, des visiteuses inattendues »
et du projet éducatif auquel il se rattache. Première date : 8
février 2014 à L’Union
(près de Toulouse, images
de la journée et
dossier de presse). Prochaines destinations : Nantes, Paris,
Aix-en-Provence. Vous êtes invités à participer nombreux à ces
forums pour fonder une éducation du 21e siècle qui prenne en
compte la dimension intérieure de l'être humain. laparolevivante@aol.com – 07 57 50 25 99 -
www.la-parole-vivante.com
Voir le
clip vidéo «
La connaissance de soi dans l'éducation de l'enfant ». Lire
«
l'auto-accompagnement des affects pour l'enfant d'âge scolaire
»
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