Présentation
Le contexte :
Accompagnateur spirituel depuis une douzaine d’années,
ma démarche fait suite à la fréquentation depuis trente ans de
personnes adultes engagées dans des démarches spirituelles ou
thérapeutiques diverses. Au fil de ces rencontres, je suis
frappé, presque à chaque fois, par une réalité qui me semble
généralement occultée. Notre civilisation souffre, à mon sens,
principalement de l’immaturité émotionnelle. La plupart des
individus, particulièrement ceux qui vivent dans les sociétés
occidentales, sont ignorants de leur vécu le plus intime. Ils
ont tous appris à penser, à cogiter et à se faire du souci et
peuvent seulement, dans le meilleur des cas, discourir sur des
concepts politiques ou philosophiques. Mais les constituants de
leur « vie intérieure » leurs sont comme inaccessibles,
inexplorés. Il m’arrive d’interroger une personne à ce sujet par
cette question : « Savez-vous ce que vous ressentez dans
l’instant ? ». La réponse est très souvent un silence. Le
ressenti immédiat n’est pas « conscientisé » et si cette
personne peut assez facilement rapporter ce qu’elle « pense »
elle est généralement coupée de ce qu’elle « ressent » ce
qu'elle « éprouve ».
La criminalité, les troubles
psychologiques, les maladies psychogènes, la dépression, le
sentiment d’une « perte de sens »
sont liés à cette
division chronique et trop peu prise en compte, ou trop tard,
entre l’activité mentale (superficielle ou compulsive), qui
prend toute la place, et le vécu des émotions et du sentiment,
relégué à l’arrière-plan quand il n’est pas tout à fait refoulé.
J'ai une fois rencontré un ancien criminel dont le témoignage
produisit comme un déclic : il me confia qu'il avait été « pris
par surprise » par l’émotion qui l’avait conduit à un
assassinat. Dans un registre moins tragique, la vie quotidienne
de nos concitoyens est parsemée d’instants conflictuels qui
trouvent leur cause dans une « inconscience » de ce qui se trame
réellement au-dedans de soi.
La
proposition en résumé :
L’auto-accompagnement, dans cette proposition, désigne la
capacité naturelle, pour peu qu’elle soit enseignée et
développée assez tôt, à « reconnaître » en soi ce qui s’anime, à
le verbaliser, à en prendre la responsabilité et à le laisser se
dissoudre. J’ai, depuis quelques années, à l’attention des
personnes qui viennent à mes conférences, résumé cette capacité
par l’expression « être avec »1.
« Etre avec » signifie que l’on est conscient de ce qui nous
traverse à un moment donné, qu’il s’agisse d’une colère autant
que d’une joie, et que ce ressenti immédiat ne soit pas perdu de
vue dans les actions que l’on entreprend2.
Nous sommes en effet habitués à agir à partir d’impulsions qui
ne sont pas toujours très claires. Nous « réagissons » plutôt
que nous « agissons ».
L’aggravation des conflits est en grande partie due à cette
impulsivité qui tente de se résoudre « vers l’extérieur de soi »
(en s’attaquant à un « ennemi », la cause désignée de notre
malaise ou souffrance) plutôt qu’en prenant la responsabilité de
sa propre réaction (retour vers soi) et à en reconnaître les
causes. « Etre avec » ne signifie en aucun cas « analyser » mais
«accompagner le ressenti » le temps de son passage afin de lui
permettre de se dissoudre naturellement par la décrispation que
produit ce « retour ».
Une lacune
importante :
Cette approche est absente de notre système éducatif et des
approches de santé concernant les enfants. Il faut que l’enfant
soit en difficulté scolaire pour qu’une approche thérapeutique
soit envisagée. Mais l’enfant est alors perçu comme
problématique et différent des autres. Or, il est évident que si
certains enfants sont capables, par des artifices ou un
mimétisme que notre société nous enseigne involontairement, de
donner le change, tous sont dans le « même moule » et que les
difficultés des adultes en rapport avec leur vie intérieure, et
les conséquences dans tous les domaines de la vie, trouvent leur
origine dans cette lacune importante de notre éducation. La
« connaissance de soi » préconisée par les anciens philosophes
est toujours lettre morte.
L’auto-accompagnement :
Je ne prétends pas avoir une méthode « clé en main » à proposer.
Je suggère qu’un débat s’ouvre sur cette question importante
auquel je souhaiterais apporter mon expérience de ces dernières
années, ainsi que le témoignage de personnes qui ont adopté cet
auto-accompagnement dans leur vie quotidienne. Un bénéfice
connexe de cette approche est de permettre à toute personne de
développer une autonomie qui fait défaut à la grande majorité
des personnes qui s’engagent dans des démarches spirituelles ou
thérapeutiques modernes. La tendance à chercher un soutien
extérieur (modèle, maître spirituel, thérapeute) prend
fréquemment le pas sur la recherche d’une certaine autonomie.
L’auto-accompagnement est une forme de révolution pour beaucoup
d’individus aujourd’hui et demandera une explication, une mise
en perspective et un accompagnement préalables, mais rapidement,
la simplicité de cette approche, surtout si elle est
généralisée, devrait contribuer à l’amélioration de la qualité
de vie de nos concitoyens.
Les effets de cette approche pourront alors se faire sentir dans
plusieurs domaines de notre société.