ISTENQS
Ici se termine enfin
Notre quête Spirituelle

 

« Je le fais déjà » 

 

Thierry Vissac

 

 

Ma proposition concernant l’accompagnement du ressenti résonne souvent aux oreilles de mes auditeurs comme quelque chose de familier. Et pour cause, « être avec son ressenti » est une fonction naturelle de l’être humain qui ne peut que faire écho en soi, au moins intuitivement. Mais l’idée que cette proposition serait déjà appliquée par les personnes que je rencontre ou qu’elle serait en tout point comparable à ce qu’ils pratiquent déjà ne s’est que très rarement vérifiée.

Je n’en fais pas une compétition mais il est important de souligner cette réalité. En effet, tout le monde prétend offrir un chemin de réconciliation, d’une façon ou d’une autre, que l’on parle d’unité dans les milieux spirituels, d’harmonie dans le New Age, d’une meilleure communication dans le coaching ou de gérer ses émotions en thérapie, le thème est en apparence commun à tous les courants. Mais dans les faits, la pratique est trop conceptuelle ou évasive pour que les gens l’intègrent réellement à leur quotidien. Par exemple, tout le monde parle facilement de « vivre l’instant présent », mais ce fameux instant présent est devenu un mythe, une abstraction pure. La plupart de ses adeptes visualisant un « instant présent lumineux ou merveilleux » et ne vivent finalement pas l’instant présent tel qu’il se présente (il n’est pas toujours lumineux ou merveilleux dans son contenu). Un autre exemple, plus crucial encore, est que beaucoup pensent plus ou moins savoir comment « gérer » ses émotions. Or, le fait est que l’on veut réellement se débarrasser de ses émotions, plutôt que les accompagner et les laisser être librement. C’est une approche radicalement différente et si l’intention apparaît semblable, les effets ne peuvent absolument pas être rapprochés.

La finalité d’un auto-accompagnement bienveillant de ses émotions n’est jamais de s’en débarrasser, mais d’être avec (et les laisser partir quand elles le peuvent). Il n’est pas non plus question de prendre de la distance (comme avec le fameux « témoin » de la non-dualité par exemple), mais bien d’entrer dedans (ou de les laisser nous traverser), de les vivre pleinement et de les laisser partir à leur rythme.

Pourtant, on me dira souvent « ah oui, je le fais déjà » (ou « c'est comme dans la méthode X »). Même si l’attitude ou la pratique est en fait en opposition avec ma proposition réelle.

Accompagner son ressenti intime n’est pas une « gestion », une forme de contrôle, c’est au contraire s’en remettre à l’intelligence de la vie en soi, telle qu’elle se présente, le temps qu’elle se présente et vérifier ainsi que cet accompagnement est plus naturel et bénéfique. Mais un raccourci mental peut facilement nous faire croire que « être avec » serait une forme de contrôle. C’est tout le contraire.

Je dois donc souligner la particularité de cette démarche et ses différences avec les modèles existants qui reposent tous plus ou moins sur une idée de contrôle, de mise à distance, de besoin de se débarrasser de ses émotions (et même quand la proposition n'allait pas dans ce sens au départ, le réflexe conditionné de ceux qui l'adoptent est fréquemment de contrôler et de fuir). Au fond, cette situation des courants thérapeutiques qui alimentent, volontairement ou non, l’habitude de l’évitement et du contrôle est au cœur du problème humain. Il n’est pas étonnant que chacun croit « le faire déjà » puisque nous semblons tous partager les mêmes conditionnements dans notre approche du vivant (« fuir et se débarrasser de ce qui dérange » et ne pas prendre la responsabilité de son ressenti* en en rejetant la cause sur les autres) au point qu’une proposition plus ouverte ne peut pas être entendue complètement telle qu’elle est réellement proposée et finit souvent par être perçue comme une méthode de gestion conflictuelle classique.

L’auto-accompagnement est en fait une révolution intérieure par rapport à la relation au vivant qui nous est imposée dans les modèles actuels. Je comprends qu'il est d'abord peu rassurant de constater que l'on entretient la division en soi, et que le besoin de se rassurer (« je le fais déjà ») est instinctivement le plus fort. Mais les temps nous invitent à une remise en question salutaire, jusque dans notre propre vie intérieure, fondement de nos actes extérieurs.

 

* Voir la notion de « prise de responsabilité du ressenti » dans l'ouvrage « Traversée, trois étapes clés pour une libération »

 

 

  © Thierry Vissac, Textes, photos et dessins sur toutes les pages du site .