Pour en finir
avec la réincarnation...
Thierry
Vissac
(juillet 2016) |
La réincarnation est une de ces théories spontanément
adoptées dans les cercles spirituels. J’ai constaté qu’elle n’était
généralement pas remise en question, même si elle est très aménagée,
s’écartant des principes originels de la préhistoire indienne et de
sa démocratisation égyptienne. Je retrouve dans cette adhésion aveugle
une tendance de nos approches occidentales. On s’intéresse moins à ce
qui peut être vrai qu’à ce qui est arrangeant. On prend pour argent
comptant des idées invérifiables qui ne présentent d’intérêt que si
elles sont rassurantes ou excitantes. On rencontre d’ailleurs fréquemment
des personnes qui se disent « la réincarnation de… » (généralement une
personne célèbre). Mais au-delà de ses usages, le principe même de la
réincarnation, dans ses caractéristiques les plus communes (revenir
dans un corps humain sur la planète Terre), devrait être questionné.
Il y a d’abord ce « terro-centrisme » plein d’œillères.
Alors que les adeptes de la réincarnation vont en même temps affirmer
que l’univers est « infini », c’est toujours sur Terre que l’on revient
!
Il y a également une lecture très paradoxale de l’évolution.
Car si la réincarnation va de pair avec l’idée d’une progression spirituelle,
il est étrange d’accepter en même temps l’idée qu’il faut tout reprendre
à zéro et que le bagage de sagesse et d’expérience acquis au fil du
temps va se désintégrer avec la mort précédente. On me dira que non,
le bagage n’est pas perdu. Mais en suggérant une remise en question,
je suis sérieux : je propose une vérification de ce qui est, pas seulement
de ce qu’on dit. Un être humain part de zéro, et même si on reconnait
parfois – rarement – quelques talents que l’on pense innés, il est facile
de vérifier avant tout que les affres de la croissance, de l’apprentissage
laborieux, des illusions et des désillusions, se reproduisent pour tout
le monde, tout le temps.
L’idée que nous arriverions dans un corps humain,
en particulier, comme le fruit d’un mérite ou dans la continuité d’un
travail sur soi progressif ne saute jamais aux yeux quand on regarde
se comporter les hommes. L’idée qu’on y revienne plusieurs fois, qui
devrait être la garantie que des êtres d’exceptionnelle sagesse vont
se multiplier, ne résiste pas à l’observation non plus.
Je constate une autre chose essentielle à ma remise
en question complète de ce principe : la vie sur Terre, qui comporte
sa propre beauté indiscutable, reste une vie grossière. Le corps humain
est plein de limitations. Il n’est pas capable d’absorber complètement
les aliments et les liquides et doit en rejeter une partie, par exemple.
Il a besoin d’une énorme quantité de sommeil en regard du temps d’une
existence. Il doit gérer des pulsions souvent anarchiques. Les règnes
animal et végétal possèdent des limitations semblables. L’athée rit
de cette réalité et arrive à la conclusion facile que Dieu n’est pas
très compétent ou inventif comme Créateur. Une autre hypothèse me paraît
digne d’intérêt : ce monde contient en germe (et dans nos propres pensées)
toute la perfection (c’est pourquoi j’imagine un corps capable de digérer
tout ce qu’il absorbe à tous les niveaux). Mais il n’y manifeste pas
concrètement cet idéal.
Il faudrait libérer notre réflexion de ses œillères
et de son terro-centrisme : la terre apparaît alors comme un plan d’existence
grossier qui préfigure d’autres plans plus raffinés. En effet, la progression
spirituelle ne devrait-elle pas s’accompagner d’une progression de son
environnement ? Le monde n’est-il pas « tel que nous sommes » ? Les
limitations du cerveau humain qui, entre autres, freinent la sortie
de la barbarie ne sont-elles pas la marque d’un environnement particulier
avec un « plan » particulier ? Pourquoi revenir toujours à cet endroit
imparfait si le dessein essentiel de la transmigration des âmes est
le perfectionnement ?
Pourquoi imposer de façon répétitive de vivre « la
même chose avec les mêmes obstacles » si on croit vraiment que la préparation
de l’âme est un chemin d’évolution ? Une personne soucieuse de vérité
devrait s’interroger de cette manière.
Nous percevons indubitablement en nous la programmation
de la continuité et du progrès, mais la réincarnation dans son imagerie
populaire ne fait pas honneur à cette intuition essentielle. Nous sommes
en croissance. La nature démontre son goût de l’économie et du recyclage.
Avançons donc avec elle. Ne craignons pas de devoir quitter un jour
ce « plan » limité après y avoir expérimenté ce qui pouvait l’être,
ni plus, ni moins. Ne limitons pas nos perceptions intimes des « paradis
» à une finalité mais plutôt à l’intuition que tout ce que nous éprouvons
peut se raffiner énormément, que cette « création » est comme une première
marche où nous venons éroder quelque chose, mais sans retour possible
(pour quoi faire ?).
Les plans d’existence peuvent se superposer à l’infini,
dans un déploiement inimaginable de raffinement. La réincarnation pourrait
alors signifier que l’âme revient habiter des corps, mais que leurs
formes et leurs environnements ne sont plus « la même chose ». Il n’y
a donc pas de salut pour l’âme dans le fait de revenir faire la même
chose au même endroit de la même façon, mais une sorte de sécurité primaire
du « connu ». Rien de plus, et une tendance à sous-estimer les possibilités
infinies du Divin.
Nous sommes là pour grandir. Tout est à faire à partir
de la Terre. Mais n’y perdons pas notre éternité et n’essayons pas non
plus de gagner du temps, croyant qu’on pourra toujours se rattraper
en « redoublant ».