ISTENQS
Ici se termine enfin
Notre quête Spirituelle

Incompréhensions et passerelles dans les relations intimes

 

Thierry Vissac

 

 

 

Dans une relation intime, le temps du rapprochement des corps est aujourd’hui encore plein de nos illusions. Les interprétations les plus primaires continuent de guider nos actes alors que nous « faisons l’amour » depuis des millénaires. Nous croyons certaines choses, nous en nions d’autres, nous faisons semblant de ne pas voir ce qui se passe et les secrets sont bien gardés. Dans un rapport homme/femme, les commentaires se font en cercles fermés, souvent critiques ou cyniques mais le dialogue n’est pas entamé et le bal des faux-semblants se poursuit.

Avant de parvenir à dégager les contours d’une relation plus inspirée, il faut défricher.

Du côté des femmes, on découvre par exemple une soumission fréquente à l’acte sexuel en ressentant que pour avoir une attention de l’homme, il faut en « passer par là ». Spontanément, la femme pourrait plutôt préférer une expression de tendresse ou un contact physique pas forcément sexuel. Alors que pour l’homme, la pénétration s’impose systématiquement, à la fois comme une pulsion, un automatisme, mais aussi comme une croyance non éclairée que c’est ce que sa partenaire attend. L’homme subit d’ailleurs cette pulsion plutôt qu’il l’a conduit, même s’il ne le dit pas. Bien sûr, les femmes ont appris à « rentrer dans la danse » et l’illusion vient du fait qu’elles s’y plient, ne serait-ce que pour faire plaisir. Mais ce qu’on appelle l’acte sexuel est le plus souvent le lieu des non-dits, des confusions et des douleurs.

Le premier constat est que, dans ce moment compulsif, l’homme n’est généralement pas attentif à l’autre en tant qu’être, il peut être absorbé par le corps seul. Les femmes le ressentent profondément et même si cela peut être acceptable dans certaines circonstances, il reste que, dans une perspective spirituelle, l’impression de rupture est souvent mal vécue. Le rapport est « sans âme » et pour quelqu’un qui aspire à restaurer les valeurs profondes dans sa vie, le fait que cet acte-là soit si mal dégrossi est un peu amer.

Le consentement peut alors n’être qu’apparent ou partiel, l’accord des corps devient un leurre. C’est une raison importante pour éclairer nos actes et les refonder.

Peut-on avoir une relation intime qui garde sa saveur en ne cédant pas uniquement à ses instincts et automatismes ? Peut-on amener l’âme dans la sexualité sans avoir recours à des méthodes qui risquent de la rendre artificielle ? Et qui, dans ce tandem, est responsable de cette évolution ?

Il est, aujourd’hui, attendu des hommes qu’ils prennent leur responsabilité en particulier en vérifiant le consentement de la femme avant le rapport sexuel. C’est une étape majeure dans l’histoire de l’humanité. Mais quelle part de responsabilité appartient aussi à la femme ? Jusqu’où l’homme doit-il avoir la charge d’une femme au risque de la garder sous tutelle du masculin ? La parole de la femme doit pouvoir s’affirmer et se faire comprendre au moment du rapprochement, sans attendre le temps des regrets.

Pouvons-nous co-créer de façon responsable un rapprochement sain et naturel, combinant des sensibilités différentes unifiées par nos aspirations communes et par le dialogue ?

L’homme est aussi un animal qui doit prendre en compte cette base primitive pour répondre à l’aspiration de sa nature profonde à s’élever au-dessus d’elle.

Certaines personnes, féministes, craignent qu’on utilise cette réalité comme une excuse. Mais c’est un point de départ, car il n’est en effet pas question de faire de cette limitation une fatalité. Pour l’animal, l’instinct, la programmation génétique, et la recherche brute du plaisir l’amènent à la friction sexuelle sans autre forme de conscience. Dans le monde animal, les rapports peuvent être brutaux. Pour l’humain, le désir du temps de la communion fait la différence. La différence avec le plaisir solitaire, la pornographie ou l’instinct du prédateur pour qui toute femme est une opportunité indistinctement, est qu’à certains moments, des rencontres font que quelque chose de cette nature est possible. À mon sens, le rapport sexuel devrait d’ailleurs être rare, contrairement à l’esprit d’aujourd’hui avec l’idée d’un rapport hygiénique un minimum de fois par semaine. L’objectif n’est pas le seul orgasme mais aussi le sentiment d’être avec quelqu’un d’une façon unique, qui invite à l’unité par l’absence de barrières dans la nudité de l’âme et du corps.

Autre point brut de défrichage : l’homme désire que la femme « s’offre à lui » et ce don exclusif est la première cause de sa jouissance.

Pour certaines femmes, cette offrande, parfois réelle, généralement dans les débuts d’une relation, n’est pas systématique et repose sur une espérance qu’elles n’expriment pas. La femme peut voir en l’homme à qui elle va se donner autre chose que ce qu’il est, projeter une attente démesurée… et se préparer à être déçue. À partir de là, l’offrande va se refermer sans que l’homme comprenne ce qui s’est produit. Pour elle, en situation intime, cela finit alors par être une question de choix, d’aiguillage : se soumettre ou se battre en réclamant autre chose. Bien souvent, la soumission s’impose.

Les femmes ont aussi le désir de prendre leur responsabilité à cet endroit, comme me le disait l’une d’entre elles : « Notre responsabilité est de ne pas nous donner des excuses qui nous maintiennent dans le mensonge par rapport à nous-mêmes ».

Lors d’un dialogue sur ce sujet, un des piliers de l’illusion était formulé ainsi: « Il existe aussi une croyance chez la femme que l’homme devrait deviner le sous-texte sans qu’on lui dise ». Les femmes pensent avoir affaire à des évidences que les hommes devraient voir. Mais les hommes ne sont pas du tout éduqués au sous-texte des femmes et leur capacité de « lecture » au moment de l’acte sexuel est très limitée (sauf peut-être dans les premiers rapports où la conscience de devoir conquérir amène encore des stratégies d’attention qui se dissipent ensuite).

Mais le sous-texte implique avant tout que la communication n’est pas fluide. Par exemple, la préférence pour la tendresse plutôt qu’une pénétration trop rapide et sans attention ne devrait pas être un non-dit mais une base de dialogue compréhensif.

On voit que la pénétration est l’acte qui démontre le plus, dans le ressenti de la femme, qu’elle disparaît en tant qu’être complet. L’intensité étant maximum à ce moment-là, la friction captant l’attention de l’homme, la femme réalise qu’elle n’est plus perçue comme une « personne à part entière ». Si l’homme était conscient que la femme éprouve cela, ce serait sans doute une révélation. Lui agit dans l’idée qu’il va faire « monter sa partenaire en puissance » et qu’elle sera satisfaite. Il ira donc au bout de son projet en se disant « elle est comme moi », d’autant qu’il n’y a pas grand-chose qui lui indique le contraire, hors des sous-textes illisibles pour lui. Une femme me disait « C’est pour ça que les femmes font semblant, le bruit et tout, pour qu’il soit content. L’homme ne se rend pas compte qu’elles font semblant ».

Beaucoup de femmes sont plutôt désabusées dans ce domaine, car elles pensent que « les hommes se moquent de leurs ressentis ». En fait, pour tant d’hommes, il ne semble surtout pas y avoir de raison de se poser des questions. Si l’homme, au minimum par fierté, savait son illusion, il ne voudrait plus se raconter d’histoire. L’homme spirituel veut même aller plus loin et être juste et respectueux.

La femme demande à être « vue » par l’homme, pas occultée.

Il reste une trace ancienne dans l’égrégore féminin d’un besoin d’exister (et de survivre) à travers le regard de l’homme. Pour exister, elle doit donc être « vue » (pas seulement comme un corps, mais au minimum quand même). Cette demande me paraît noble, elle apporte avec elle un raffinement manquant qui pourrait facilement être intégré par l’homme s’il acceptait de le comprendre. L’homme aussi a ce besoin d’être considéré par la femme mais l’équivalent masculin est plus primitif : il aime ressentir qu’il a été « choisi » par elle, c’est-à-dire que la femme s’est offerte à lui et pas à un autre. C’est à cet endroit qu’on trouve l’instinct masculin de « posséder ».

Une femme me disait : « La femme n’a pas un sens de sa propre existence. L’homme sait ce qu’il va faire, il a un statut, être un homme suffit presque. Quand une femme arrive sur un même terrain, elle ressent presque toujours que les hommes se demandent : « Qu’est-ce qu’elle va encore nous sortir, elle ? » Ce positionnement ancestral se retrouve dans les rapports intimes et l’expression du féminin est très négligée dans ce domaine aussi. Le travail à faire pour revenir à un équilibre va demander beaucoup d’attention.

Nous sommes encore sur ces bases confuses, dans une zone de non-dits et d’illusions que les débats sociaux actuels ont à peine entamés, à mon sens surtout parce que l’approche est trop théorique, très agressive et sans âme, au sens le plus spirituel du terme.

De plus, l’objectif d’une évolution des rapports intimes n’est pas seulement de rendre plus agréables les rapports sexuels ou d’équilibrer les plaisirs, comme on le présente généralement, mais d’amener une communion dans le rapport, un moment d’unité qui élargit l’acte animal et ses plaisirs en incluant la dimension profonde de la nature humaine.

J’ai créé des groupes de réconciliation hommes/femmes. Des dialogues riches s’y déroulent. Un jour où j’étais avec les hommes, j’évoquais ce don de soi féminin : « Réalisons-nous tous à quel point les femmes sont capables de tout donner… et ce que nous en avons fait ? » Le moment était émouvant, parce que chaque homme en avait une sorte de conscience diffuse. Chacun connaissait un moment où il avait ressenti que sa partenaire ne mettait pas de barrière, comme un amour offert, et comment lui « prenait », sans en réaliser toute la beauté et comme s’il n’avait rien à donner à son tour. La déception féminine fait que ça ne se reproduit pas souvent ensuite et l’homme se plaint alors que sa partenaire n’est « plus comme avant ». Ce qui devient un reproche technique, alors qu’il a en fait vécu quelque chose de plus profond qu’il a en partie gâché en ne percevant pas la vision de sa partenaire et ses attentes déçues.

La vie n’a de sens qu’en regardant toute chose d’un point de vue spirituel. C’est pourquoi, même le rapport sexuel devrait être considéré de cette façon. Ce qui ne veut pas dire le dénaturer et le rendre artificiel ou moins plaisant mais d’amener la nature profonde de chacun sur ce terrain-là aussi.

Pour ma part, je suis coresponsable de l’histoire de la masculinité. Ce que les femmes nous enseignent, si on veut bien l’accueillir sans nos vieux filtres de dominants, provoque une prise de responsabilité de notre grossièreté, de nos négligences héritées et perpétuées. En plus de notre désir de voir évoluer nos relations, nous devons nous appuyer sur l’intuition féminine apaisée pour les reconstruire ainsi que celles des générations à venir.

Les groupes de réconciliation cherchent à poser les bases de cette reconstruction. J’aurai d’autres occasions de partager les fruits de leurs recherches et les découvertes de leur parcours.

  

 

©Thierry Vissac, Textes, photos et dessins sur toutes les pages du site .