Le sentiment d'exister
Thierry Vissac - Revue Recto Verseau n° 144
Notre
« sentiment d’exister » se résume longtemps à un élan
compulsif à « agir » et « réagir ». Dans ce torrent
furieux, la conscience d’être fait de rares apparitions. Emportés par la
tourmente et l’urgence, nous sommes dans l’oubli de notre véritable
nature. Nous ne sommes que réactivité, perpétuellement dépendants des événements
périphériques dont nous attendons le bien-être et fuyant désespérément
tout ce qui semble éveiller en nous un malaise.
Pourtant,
ce que nous sommes avant d’être emportés ne meurt pas. C’est pourquoi
nous vivons tous des percées de cette réalité paisible sans toujours appréhender
la révélation qu’elles contiennent, comme un rappel essentiel.
L’histoire
parle d’expériences mystiques pour évoquer cette conscience renaissante
mais elles sont le plus souvent reléguées dans le tiroir des mystères.
La
bonne nouvelle est que nous sommes tous sujets à l’expérience mystique en
question. Mais il nous faut réaliser qu’elle nous parle d’une réalité
que nous négligeons parce que la plus grande partie de l’humanité justifie
la tourmente et l’oubli.
Nous
finissons par croire que nous ne sommes et que nous ne pouvons être que cette
folie.
Dans
ce regard, ce qui nous intéresse est la percée de la conscience d’être,
du « sentiment d’exister » dans sa forme la plus pure. Ce rappel
intime d’une réalité plus vaste, plus ouverte, plus paisible, n’est pas
l’effet secondaire d’un événement heureux. Il se produit hors de tout
contexte idéal parce que cette réalité n’est pas dépendante d’un
contexte quelconque. Cette réalité de l’être précède, accompagne et
succède à tout événement, quel qu’il soit. Les événements ne sont pas
le point de focalisation de la conscience d’être. Cette conscience pure en
est le Témoin vivant. La tourmente fait un voile devant cette réalité mais
elle ne disparaît pas pour autant. La
première prise de conscience consiste en une révélation fondamentale :
Je ne suis pas le torrent furieux dans lequel je crois devoir être emporté.
Le sentiment d’exister est en-deçà de cette folie. Ensuite
vient la « percée » de l’être que nous pouvons identifier
comme le rappel de notre nature véritable. Il devient alors possible de
revenir à cette nature chaque fois que l’appel de la tourmente nous
sollicite. Enfin,
nous pouvons dire que cette conscience d’être, avant celle de « faire »,
« d’agir » et de « réagir », demeure, quel
que soit le contexte. La conscience d’être redevient la fondation,
qu’elle a toujours été, de nos actions dans le monde.
Cette
façon de verbaliser la révélation est trop linéaire pour rendre hommage à
ce qu’elle décrit. Mais l’écho qu’elle peut produire au-delà du
mental est certainement salutaire. Le chercheur spirituel ne peut que se
dissoudre dans cette révélation et laisser place à la Paix.
© Thierry Vissac, Textes, photos et dessins sur toutes les pages du site .