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Notre Quête Spirituelle

 

 

 

 

La crise :

 invitation à une nouvelle civilisation

Thierry Vissac

Revue 3° Millénaire n° 94

 

 

En parallèle de l’effondrement des systèmes de croyance, nous assistons aujourd’hui à l’effondrement de notre modèle de société. Quelque chose est à l’œuvre…

 

Un effondrement n’est pas toujours une catastrophe. L’humanité a peur de perdre ses repères et cette habitude de s’appuyer sur le connu plutôt que de prendre le risque de l’inconnu lui fait parler de « crise » (avec une connotation négative). Ceux qui tentent de contenir ou ralentir l’effondrement, parce qu’ils ont des intérêts personnels à préserver, cherchent les moyens de contrôler la situation pour la ramener à ce qu’elle était avant la crise. Mais pour tous ceux qui sont las de voir dominer mensonge et violence, le désir d’accompagner cette mutation en conscience, voire de l’accélérer, trouve un tremplin dans cette situation.

 

Qu’est-ce qu’une crise ?

 

Une  « crise » est l’expression d’un processus naturel de guérison et de croissance que l’on retrouve autant au niveau individuel que collectif. La crise est la manifestation d’un déséquilibre qui atteint des proportions excessives, comme l'indigestion est la réponse du système digestif qui a subi un excès de nourriture. Un individu, un couple, une famille, une commune, une nation, une planète sont en crise quand un certain seuil de tolérance au déséquilibre est franchi. Nous pouvons dire que notre société, dans son ensemble, est victime d’une indigestion des divers excès du XXe siècle.

 

Mais de quoi notre société doit-elle guérir ?

 

La nécessité de vivre ensemble qui a fondé nos cités, a perdu son sens profond. Si « vivre ensemble » signifiait : associer les êtres humains afin d’améliorer leurs conditions de vie et les élever spirituellement et moralement par un soutien mutuel, nous pouvons dire que le système a dérapé.

Ayant perdu le fil directeur de sa conscience, les notions de partage de service et de respect sont devenues très vagues pour l’homme moderne car elles ne peuvent plus s’incarner dans son comportement, formaté et conditionné par des décennies d’un matérialisme égocentrique qui se révèle tragique.

S’il ne nous est plus naturel de partager, de servir et de respecter les autres (et l’environnement), nous ne vivons plus « ensemble », nous avons laissé le singe dominer le sage [1], tout en faisant croire le contraire. Même nos démarches spirituelles et thérapeutiques sont conditionnées par le « moi je ».  Nous voulons la satisfaction, tout de suite, et le fait que d’autres puissent, plus trivialement, mourir de faim près de chez nous, dans le même temps, n’a guère relativisé l’importance que nous accordons à nos tourments et nos besoins. Ce grand écart de civilisation entre ceux qui consacrent leur existence à se gaver au-delà des besoins naturels (sans pour autant trouver plus de sens ou de joie à leur vie) et ceux qui ne peuvent même pas manger ou s’abriter est une dérive si flagrante et déjà si ancienne que beaucoup ont fini par perdre espoir en l’humanité.

La dérive n’est pas nouvelle, elle se rapporte à la tendance de l’ego à se replier sur lui-même, ses propres besoins et ses illusions sans prendre en compte ce qui se passe autour de lui. C’est une vision étriquée que l’on trouve à la racine de toutes les souffrances individuelles et collectives. Une société qui prospère sur la vision de l’ego peut subsister pendant un temps mais doit tôt ou tard rencontrer une crise de grande ampleur.  

 

Le réveil de l’humanité

 

L’Intelligence de la vie est un processus homéostatique (cherchant à restaurer un équilibre). Nous savons que ce processus concerne à la fois notre environnement matériel (le champ d’action des écologistes, politiciens, économistes etc.) et notre réalité spirituelle (le champ d’action des démarches spirituelles et thérapeutiques modernes). Mais nous devons prendre conscience que les bouleversements catastrophiques de notre planète trouvent avant tout leur origine dans un déséquilibre spirituel. Si l’homme ne vivait pas sa vie dans la vision compartimentée de l’ego, il n’agirait pas à l’encontre de ses semblables et de sa planète. Les méthodes pour « réparer la planète » ne seront durables que si les hommes qui doivent les mettre en place et les préserver élargissent leur champ de vision.

Les médias nous présentent une crise superficielle et omettent, par ignorance, ce qu’elle sous-tend : l’être humain doit se réveiller. Le pouvoir personnel des puissants et ses conséquences criminelles sont dénoncés depuis longtemps mais jamais, comme aujourd’hui, les implications du changement ou du non-changement n’ont été aussi évidentes. Nous sommes à la croisée des chemins.

Le manque de maturité de l’être humain attire les leçons qu’il peut comprendre. Le message spirituel est « mal passé », il contenait sans doute trop d’abstraction pour la majorité des gens. Il faut un effondrement matériel, concret, pour que l’humanité prenne conscience de la menace que présente son comportement. Mais si la gifle est moins virtuelle, elle n’en contient pas moins son potentiel d’éveil spirituel.

 

Un nouveau regard

 

Une crise est porteuse d’un enseignement. C’est l’Intelligence de la Vie qui est à l’œuvre. Une crise ne devrait jamais inciter à « revenir en arrière » au risque d’en perdre son potentiel créateur. Parce qu’on ne recrépit pas un mur qui s’effondre, ceux qui se retrouveront la truelle à la main après sa chute risquent de la vivre plus durement.

À moins d’être aveuglé par le pouvoir personnel, l’être humain a de plus en plus conscience aujourd’hui de sa responsabilité. Il sait que ses actions ont des répercussions dans son environnement et il en constate les effets de manière très concrète aujourd’hui. Quelque chose, dans son cœur, lui fait reconnaître une dérive à laquelle nous avons tous participé.

Cette crise est l’invitation à une nouvelle civilisation.

Dans un monde désabusé et désenchanté, le projet est un défi. Il demande à franchir l’obstacle d’un mental dubitatif et d’un cœur qui ne veut pas se précipiter dans un rêve qu’il verrait à nouveau s’éclipser, comme tant d’autres.

La crise ne concerne pas seulement ceux qui entrent dans la catégorie « matérialistes », elle s’adresse tout autant aux « spirituels » en les invitant à un nouveau regard sur leur vie. Nous devons réaliser comment traverser cette crise de la manière la plus consciente possible car il nous est devenu aujourd'hui impossible de dissocier nos démarches spirituelles, jusqu’alors individualistes quand elles n’étaient pas recluses ou fatalistes, de l’espace social. La crise est survenue, qui porte en elle le potentiel d’un renouveau (sinon, d’une disparition probable de notre espèce). Nous sommes maintenant, tous, devant un projet qui devrait éveiller l’enthousiasme des pionniers. Nous en avons assez dit et tout reste à réaliser. 

 

 

[1] Voir « Ni singe ni sage, ou l’éveil de l’homme nouveau ».

   © Thierry Vissac, Textes, photos et dessins sur toutes les pages du site .