ISTENQS- Ici se termine enfin notre quête spirituelle

 

 

La CNV

 

comment le développement personnel peut être utilisé pour tenter d'obtenir ce que l'on veut des autres...

 

Thierry Vissac

 

 

En cours de conférences, j’entends parfois des personnes me dire que leur démarche « dit la même chose » que ce que je propose. Cette façon de rapprocher quelque chose de nouveau de ce que l’on connait déjà, même si le parallèle est souvent exagéré, est un mécanisme de défense que j’ai observé. Je comprends qu’il est en effet difficile de remettre en question ses engagements en cours si ce qu’on entend tout à coup pourrait les bouleverser. Plutôt que d’assumer la différence, ou éventuellement de travailler avec, le réflexe est de tout niveler, même artificiellement.

Quelquefois, le rapprochement est encore plus fallacieux, parce que je dis en fait « le contraire ». Ce fut le cas dans mon contact avec des personnes engagées dans la Communication NonViolente (CNV), une méthode populaire par ailleurs bien inspirée de Marshall Rosenberg mais dont une déviation m’est apparue lors de dialogues avec ses représentants.

À Genève en 2007, une représentante attitrée de la CNV me fait donc cette remarque : « La CNV dit la même chose ». Je me permets alors de lui rappeler ce principe de sa méthode qui consiste à « reconnaître ses propres besoins et les faire entendre à l’autre », à l’opposé de ce que je dis (ma démarche propose de questionner ce que l’on pense être des besoins légitimes et de les traverser en soi, plutôt que de les imposer systématiquement à l’autre). Mon interlocutrice, sans doute blessée du fait que je n’approuvais pas son rapprochement, a eu une réaction que je qualifierais de « violente », dans le sens où elle a commencé à prendre beaucoup de place dans cette discussion publique (jusqu’à me suivre dans le couloir au moment de mon départ) pour me prouver que je me trompais. Ce qui se manifestait alors était, à mes yeux, la démonstration de cette déviation. Elle avait "besoin" de me faire entendre quelque chose à tout prix.

Fonder une démarche visant à retrouver des relations harmonieuses sur « les besoins » m’apparaît comme un bricolage assez typique du développement personnel. Ce que l’on devrait rechercher, c’est de s’émanciper de ce que les autres nous donnent ou non. Une démarche spirituelle ne peut pas valider cette exigence tournée vers les autres pour qu’ils « entendent notre demande » (aussi aseptisée soit-elle pour respecter le précepte de la non-violence puisque la demande, disent-ils, doit être « claire et sans ambigüité »).

Notre nature profonde, au-delà du personnage social et de ses prérogatives, est notre espace d’accueil. Sur cette strate de l’être, la question d’obtenir ce que l’on veut des autres se dissout. Non seulement parce que c’est une liberté (une émancipation), mais aussi, plus simplement, parce que nous savons intimement que les autres ne peuvent pas répondre à nos attentes et ne le feront pas, la plupart du temps (on peut même considérer que rien ne doit les obliger à le faire). Dans une civilisation matérialiste qui nous conditionne à la réalisation de tous nos désirs et nous autorise à la revendication sonore de nos attentes, il était inévitable que cet aspect du projet de Rosenberg soit récupéré aux dépens parfois de la non-violence, qui devient tout à coup secondaire.

Dans la CNV, lorsqu’on observe quelque chose qui nous dérange, on essaie de reconnaître ce que cela nous fait. Jusque-là tout va bien. Nous sommes d'accord. Mais si ce que je reconnais est « je suis déçu » ou « ça me dérange dans mes attentes », il est proposé de formuler un besoin (« j’ai besoin que ce soit autrement ») et d’en faire la demande à l’autre (poliment) ! Sans la demande, la démarche serait jugée incomplète.

Dans ma perception de ces situations, si quelqu’un se présente à moi avec le même dilemme, je lui dirai de reconnaître que son besoin lui appartient (voir le concept de « la conscience de la faille », au cœur de ma démarche), qu’il ne s’impose pas forcément à l’autre et qu’une traversée intérieure s’offre à lui. Ce lâcher-prise ultime est fondamental dans une perception de l’existence qui n’est pas façonnée par les autres, leur regard sur nous, et cette habitude de les considérer comme des fournisseurs de nos attentes. Bien sûr, je ne remets pas en question l'importance du respect de l'autre et le fait qu'on puisse, parfois, le demander quand il est absent, mais en dehors des cas, somme toute assez rares, où ce besoin s'impose, la démarche que je propose me paraît plus adaptée à notre chemin de vie.

La CNV est un exemple parmi d’autres de modèle de développement personnel qui, malgré les bonnes intentions, peut conduire à se soumettre à nos attentes immatures plutôt que de souscrire à l’espérance de l’amour et de la non-violence.

 

 

 

  

 

© Thierry Vissac, Textes, photos et dessins sur toutes les pages du site .